MON ACTU

Tribune : « L’Europe doit redoubler d’efforts pour lutter contre les effets néfastes des lois extraterritoriales américaines »

L’élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis reste une bonne nouvelle, laissant imaginer que ce défenseur du multilatéralisme va revenir à la table des négociations. Toutefois, ce retour ne présage en rien de l’issue de nos futurs échanges. L’Europe ne doit pas se bercer d’illusions, notamment en matière commerciale. Son horizon doit demeurer l’autonomie stratégique. Nous ne pouvons pas tout attendre de notre partenaire d’outre-Atlantique.

Certes, nous ne pouvons que nous réjouir de la victoire du candidat démocrate, et plus encore de la défaite de Donald Trump. Mais soyons clairs entre Européens sur le constat. Sur le terrain commercial, la présence de Donald Trump à la Maison Blanche a accentué les tensions aussi bien sur le fond que sur la forme, tout était bon pour imposer « des tarifs ». Mais penser que désormais le climat va revenir à la normale est illusoire. Et surtout de quelle normalité s’agit-il ? Arrêtons-nous quelques instants sur les lois extraterritoriales américaines mises en place bien avant l’arrivée de Donald Trump.

Les Etats-Unis tirent profit de leur législation pour en contourner le bien-fondé. Le bilan des vingt dernières années est édifiant : plusieurs dizaines de milliards de dollars d’amendes ont été réclamées à des entreprises françaises comme PSA ou Airbus, européennes, sud-américaines et asiatiques. Cela au motif que leurs pratiques commerciales, leurs clients ou certains de leurs paiements ne respectaient pas le droit américain, alors même qu’aucune de ces pratiques n’avait de lien direct avec le territoire des Etats-Unis et/ou que ces entreprises se conformaient au droit de leur pays. Nos entreprises ne sont pas les seules affectées par ces pratiques. Les citoyens européens dits« Américains accidentels » sont eux aussi des victimes collatérales. Ces derniers disposent de plusieurs nationalités dont la nationalité américaine, ils se battent contre le principe de la taxation basée sur la nationalité, spécifiquement l’application de la législation Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca).

Géopolitique de l’affrontement

Soyons conscients du contexte de tensions dans lequel nous évoluons. La bataille que se livrent les Etats-Unis et la Chine pour se maintenir ou ravir la première place du podium mondial ne va pas disparaître, bien au contraire. La géopolitique de l’affrontement prédomine. Ainsi, les Européens ne doivent pas être pris en étau entre ces deux Etats-continents. Il faut les voir tels qu’ils sont : des alliés, parfois, des rivaux économiques, souvent.

Au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec les Etats-Unis et d’autres partenaires, nous devons travailler pour lutter contre la surcapacité chinoise et faire évoluer Pékin sur les subventions accordées à son industrie. Dans cette même enceinte du commerce mondial, nous devons par ailleurs redoubler nos efforts pour lutter contre les effets néfastes des lois extraterritoriales américaines. Cette action s’inscrit dans le temps long. Le règlement européen de 1996, dit loi de blocage, vise à assurer une protection contre l’application extraterritoriale de certaines lois. Toutefois, nous restons dans une posture défensive. Il est grand temps de nous doter d’instruments garantissant le libre choix de nos entreprises qui sont en conformité avec le droit international.

Pouvoir jouer à armes égales

L’Union européenne demeure la première puissance commerciale forte d’un marché de 450 millions de consommateurs. Si elle veut s’affirmer comme telle, l’ensemble des Etats doit partager cette volonté. Dans ce contexte économique très difficile dû au choc du Covid-19, les balances commerciales seront scrutées au plus près. L’Union européenne doit continuer de défendre un commerce mondial basé sur des règles, mais des règles adaptées et respectées par tous.

Pour être audible et crédible, l’Union européenne doit se doter d’un arsenal juridique permettant de jouer à armes égales. Elle vient de franchir une première étape avec l’adoption de mon rapport sur l’application des règles en matière commerciale. L’Union peut adopter des contre-mesures dans le champ des biens et marchés publics, et aussi, désormais, dans le domaine des services et des droits de propriété intellectuelle harmonisés au niveau de l’Union. La proposition faite par la Commission européenne de se doter d’un nouvel instrument juridique en 2021 pour contrer les mesures coercitives prises par un Etat tiers constitue une bonne nouvelle. Il est inscrit dans le programme de travail de l’exécutif européen. Les colégislateurs devront être ambitieux pour lutter contre les comportements de nos partenaires visant à nous contraindre. L’issue du bras de fer sur de nombreux sujets, et spécifiquement sur l’extraterritorialité, est donc loin d’être figée si nous avons la volonté d’augmenter nos capacités de réaction pour s’opposer à l’illicéité de l’extraterritorialité.

Nous, Européens, ne voulons pas de guerre commerciale, nous voulons les conditions de la paix. Mais ne nous trompons pas : compter sur le seul protectorat américain nous mènera dans une impasse. Le renforcement de notre capacité d’action, notre autonomie stratégique et une préférence européenne doivent continuer de nous animer.